« Le code change comme les rêves. On le réécrit pour corriger des bugs et pour les raccourcir ; pour optimiser les performances et pour le raccourcir ; pour le doter d’une nouvelle fonctionnalité et pour le raccourcir ; pour en supprimer dix autres, devenues obsolètes, et pour le raccourcir ; pour l’améliorer en le raccourcissant ; enfin, pour corriger les bugs qui n’ont pas manqué de se glisser au cours des précédentes opérations, et que tous ces raccourcissements ont rendus à peu près invisibles.
En attendant, il grossit. Son volume, envisagé dans le temps, décrit une courbe logarithmique. Elle illustre la façon dont le système se désorganise à mesure que se multiplient les tentatives pour le mettre en règle. La dramaturgie symbolique du développement est une Iliade : elle rejoue l’éternel affrontement entre l’aspiration humaine à l’ordre et l’irrépressible inflation du chaos.
(Hugues Leroy, sur les vertus de la concision dans certains textes que personne ne lit, in la moitié du fourbi numéro 1)
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Il est des entreprises qui vous sont immédiatement et impérieusement sympathiques – ce qui rend, dans le même mouvement, malaisé de tenir un propos depuis ou envers ces dites entreprises : ce pourrait être le cas de la moitié du fourbi, qui réunit deux caractères : d’être une revue nouvelle (j’aime les revues, j’aime y participer, j’aime aussi leur surgissement, leur début), et de réunir des auteurs qui me sont, sinon proches (c’est le cas de diverses façons : pour Anthony Poiraudeau, souvent cité par ici, mais aussi pour Clémentine Vongole, rencontrée quelques rares fois mais dont j’ai immensément apprécié l’exigence et la passion (voir son blog)), pour Sylvain Prudhomme, dont le patronyme est une des occurrences les plus répétées des mots-clés de ce site), du moins, souvent, d’intérêt – Hélène Gaudy, ou Sabine Huynh, mais aussi des lectrices et auteurs croisés sur le réseau social (de ces gens qu’on connait sans connaitre, sans être bien sûr de ce qu’ils sont à l’état-civil (ça fait pareil pour moi, souvent, on a même cru que j’étais un avatar d’Instin, une fois) : libraires, critiques, auteurs – de fervents propagateurs du lirécrire, comme ici Edith Noublanche ou Anne-Françoise Kavauvea).
D’ajouter qu’y figure aussi l’ami Benoit Vincent pour un texte consacré à Michaux pourrait achever mon propos liminaire, comme en une assertion définitive : cette revue est donc pour moi, voilà.
Il est très agréable que le résultat soit excellent, et vous permette de louer l’entreprise de prime abord si sympathique. Et il m’importe de vous le dire, afin qu’elle ne n’atteigne pas que moi. Mais pas d’inquiétude, ce ne sera pas le cas, elle trouvera ses lecteurs. Car déjà, la revue est belle ; que les textes y sont variés et tenus, traitant littéralement et tous azimuts la question posé par le titre : écrire petit, sous des angles variés : celui de la micro-écriture en tant qu’écriture microscopique, dont use Werner Herzog en son journal de bord, qui se préserve ainsi, autant que possible, de la folie régnant sur son propre tournage (celui de Fitzcarraldo) ; celui de l’écriture à ras du sol de Thomas Vinau (« j’aime ce qui n’est pas vu,ce qui est négligé, ce qui passe inaperçu »). ; de la folie scrutatrice de Monsieur M, excellent documentaire que me fit un jour découvrir Marc Perrin, et autour de laquelle il a beaucoup travaillé (par Frédéric Fiolof, responsable de ce bien beau fourbi) ; des pattes de mouche obsessionnelles et si touchantes du dessinateur rennais Nylso ; d’un vaste poème constitué des SMS captés par les grandes oreilles de la sécurité américaine dans les heures précédant et pendant le 11 septembre (magnifique texte de Sylvain Prudhomme)… pas de temps faible, dans ce fatras magnifique, où il est aussi question de Robert Walser ou Walter Benjamin.
Écrire petit n’est donc ni écrire plat, ni s’abstenir de réflexivité, au contraire ; écrire petit ici c’est se pencher sur le geste autant qu’au plus près de la page, c’est aussi noter tout ce qui se peut, et ainsi s’attarder sur ce qu’on ne lit pas, ce qui remplit les marges, ou les pages de code – et le texte fascinant de Hugues Leroy (que je ne connais de rien, ouf), cité en exergue ci-dessus, est un des sommets de cette belle revue. Prometteuse. Et déjà grande.
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« Numéro 1 -Écrire petit (Edith Noublanche / 639 Clémentine Vongole / Nylso, rêveur éveillé Anthony Poiraudeau / Le délire de la jungle Hugues Leroy / Sur les vertus de la concision dans certains textes que personne ne lit Gilles Ortlieb / Sans le petit Thouars Zoé Balthus / Benjamin, la plume à l’envers Guillaume Duprat / Mondes pygmées (texte & dessins) Benoît Vincent / Notes sur le dernier Michaux Sylvain Prudhomme / WTC on fire, no joke!!! Anne-Françoise Kavauvea / Petites topographies walsériennes Sabine Huynh / Uri Orlev : écrire caché La moitié du fourbi / Conversation avec Thomas Vinau Hélène Gaudy / L’arbre et la forêt (sur l’affaire Tamán Schud) Romain Verger / Bruno Dumont, fragments d’une montée en grâce Frédéric Fiolof / Lisible illisible (les carnets de Monsieur M.) Samuel Gallet / Autour de la Moneda, une expérience chilienne Simon Kohn / Prière d’abréger (photographies) Jacques Jouet / Petit, petit, petit ))