(Intervention Le 9/12/2022 lors de la journée d'étude sur la question de la médiation littéraire, organisée par Stéphane Bikialo et Mathilde Rimaud / Laboratoire Forellis)
Je reprends pour démarrer ce que j’ai déjà écrit là : je suis médiateur littéraire et en ai pris l’habitude – de l’être et de l’énoncer : Je-suis-médiateur-littéraire.
Partons des termes, ces deux mots associés. Médiateur littéraire est une dénomination qui m’arrange, déjà, après plus de 20 ans de pratique professionnelle dans ces secteurs, et y avoir fait pas mal de choses, car elle permet de couper court à l’énumération (passant par les entretiens avec des auteurs, les ateliers d’écriture, la présence numérique, la conception d’évènements, l’écriture critique, le community management littéraire, la formation, la programmation de festivals, liste non enclose), tous pôles reliés plastiquement et non strictement successivement comme les biographies et les curriculum vitae nous l’imposent ) et qu’elle me situe en habilité et non par la négative – je suis médiateur car entre, n’étant pas écrivain au sens propre (crivant pourtant), n’étant pas plus journaliste (produisant pourtant des articles et des entretiens, écrits et oraux), ni statutairement enseignant (enseignant pourtant).
Il s’agit de faire Entre, donc, de faire avec et entre, et, faisant avec cette hybridation – mon site s’appelle materiau composite, nom qui m’est apparu au fil du temps toujours un peu plus précis, un peu plus exact — s’affairer à produire des dispositifs vivants.
Vivants, j’y tiens — car depuis le début on m’oppose la mort du livre, de la littérature, de l’apprentissage, la mort de ce qui m’anime et que j’anime — et que des coupables fugaces sont désignés, les écrans le plus souvent ; quand pour ma part je n’ai jamais agi le web qu’avec et pour le livre, en acceptation de leur nécessaire complémentarité.
Produire, j’y tiens aussi. Médiateur littéraire, c’est produire des évènements. Pas de l’événementiel, juste : produire des événements, du minuscule (échelle 1) au majuscule (échelle foule), nous agissons en producteurs, et tels des producteurs de sons derrière des consoles, jouons avec une multitude de patterns. Ma culture d’origine étant populaire, j’avais quinze ans en 1989, j’ai mangé du rap US sous toutes ses premières formes, me sont revenus ces intitulés de featuring (pour l’invitation) et de versus (pour la battle), qui prendront la suite du fil & de cette aiguille, pour dire quelques interactions ambigues et oppositions trompeuses.
#Prescrire FEAT.interroger
Du vivant, c’est prendre à revers la recommandation algorithmique, les mots-clés réducteurs, c’est chercher toujours comment les hacker – et je me dis que, par exemple, quand je lance, in real life, ma proposition de rentrée en travaillant avec et contre les qualificatifs que le commerce appose aux romans, discutant ainsi de notre entendement du qualificatif « léger » (qui correspond à une demande « populaire ») autant que du factice « ambitieux », si tendance et si erroné voire oxymorique,
explorant et le dissenssus et le malentendu ouvert par chaque adjectif,
on (je dis on car ça se fait en dialogue),
on fait l’inverse que de réduire à du pitch.
Ça invente, ensemble, des possibles, du vivant.
#L’education populaire FEAT. La littérature (littérature pour)
Educpop, au berceau. Professionnellement né dedans, en somme, 1998, dans la couveuse que Cathie Barreau avait appelé « atelier d’écriture du Manège », devenu ensuite La Maison Gueffier, à La Roche sur Yon, lieu de référence de la médiation culturelle avec écriture et littérature ; d’emblée pointant à vingt heures d’écriture en atelier par semaine de 35, vingt heures rapidement muées en heures d’animation des mêmes ateliers. Ecrire pour animer, d’emblée – écrire pour. Le geste, écrire, si solitaire dans sa dimension artistique, est d’emblée implémenté dans un dispositif ; est d’emblée pensée avec (d’autres) et pour (faire écrire) d’autre.
Dans ces ateliers, la littérature est le socle autant que la matière, elle est passée autant que patouillée, partagée, rejouée. Toujours présente, toujours rejouée. Et la littérature, ainsi jouée, re-jouée, est toujours autant, voire toujours plus, littérature — littérature pour. L’auteur ou autrice parfois vient, et y est convié et fêté, à prendre parole mais aussi part, à participer. Littérature pour.
#La littérature FEAT. le commerce
Un des visages exemplaires – pas iconique, exemplaire — de la littérature contemporaine, on le sait à Poitiers où un colloque cette année lui fut consacré, c’est celui de P.O.L. L’éditeur Paul Otchakosky-Laurens. L’éditeur du plus haut, du plus serré, du plus tranchant. P.O.L dont les succès ne remirent jamais en cause l’existence de coûteux ouvrages de poésie, la mal aimée du commerce, la mal vendue — l’essentielle. L’essence même de la littérature, ainsi en parlait-il, à peu près. Le même qui demeura fidèle ami de Bernard Fixot, héraut du populaire dans toutes ses dimensions, éditeur « commercial » de livres qui, ici, pour l’essentiel, nous concernent moins. Et cette fidélité-là, d’apparence paradoxale, m’intéresse : dans ce qu’elle révèle du professionnel : un éditeur a besoin de vendre des livres pour que d’autres ne se vendent pas mais existent quand même ; dans ce qu’elle porte de hautement symbolique à cet endroit : une manière de tolérance, non indifférenciée, entre les formes d’art et d’artisanat de la littérature.
Inventer des possibles – en terme de représentation : s’ouvrir ; pour inventer des possibles (et permettre l’impossible). Littérature pour, encore.
#L’argent FEAT. son invisibilité
C’est une étudiante qui soudain me le demande – il était neuf heures, je l’avais certes exposé en introduction, dans un torrent d’autres choses, à huit heures, mais, à huit heures du matin, quoi. Et L’argent dans tout cela ? Comment est-ce financé ? Alors que je parlais de ces lieux, de résidence, de festivals, de lectures publiques, de ce pan de la vie de l’écriture et de la lecture qu’on nomme « vie littéraire » dans la nomenclature (il faut bien des nomenclatures), quand ce que le terme désigne n’en couvre qu’une portion (de la vie comme de la littérature). C’est de l’argent public, il a un sens de circulation et on peut en nommer les rouages, la juste réglementation. Mais tout à mon scrupule d’éclairer ce que je connais moins, du fait de mon parcours sus-évoqué, dans cet écosystème du livre sur lequel ce cours porte, (les règles du commerce, disons, pour faire simple) , j’avais beaucoup insisté sur la vie matérielle du livre, son économie, ce qui se joue dans le commerce du livre, ce qui se joue de fragile et d’important, de tellement contradictoire en apparence – mais après tout, POL et Fixot étaient amis.
#gagnersavie VERSUS Les autres
Les auteurs sont pauvres. De plus en plus. Au régime sec, ils fondent, se dissolvent comme la classe moyenne – d’ailleurs, c’est aussi, à bien y regarder, la classe moyenne des auteurs qui disparait, les livres qui se vendent à quelques milliers d’exemplaires, vers les 10000, il y en a de moins en moins, vous disent les éditeurs. Quand dans le même temps, l’écho sur mon insta de la parution du nouveau Riad Sattouf m’a fait voir défiler des palettes. Le succès a toujours existé, et celui-ci vaut mieux que d’autres ; mais les écarts se creusent – comme dans le reste du monde réel, après tout. Les auteurs sont pauvres, ils le disent, ils le disent fort, le redisent, sans qu’on les entende mieux là où ça pourrait résonner. La concentration éditoriale prédite par Schiffrin tolère mal le minoritaire, et le constat de Bernard Lahire n’en est qu’accentué : l’écrivain ne vit pas de son écriture, pas majoritairement, pas principalement. L’auteur n’en est que plus multitâche encore, et bien souvent médiateur – par nécessité, par bonheur souvent (que d’exemples magnifiques, j’en donnerai peut-être si le temps le permet), parfois par défaut, voire à regret. Surtout, puisqu’il est médiateur (de son travail, de ses livres, de ceux des autres), alors on peut bien faire l’économie des médiateurs non auteurs. Je parle bien d’économie : si je suis free lance depuis 13 ans, après avoir démarré dans une structure publique, ce n’est pas par goût de l’entreprenariat, du risque ou de l’aventure (certes, j’aime bien qu’il y ait du neuf, mais l’aventure, non : je suis radicalement casanier). Ces postes là (intermédiaires, cf la classe moyenne suscitée) n’existent guère.
Bref, l’auteur est affecté aux deux postes ; il est lui-même et le médiateur de lui-même, en somme : et je n’ai de cesse de penser qu’il y a là, dans cette affectation implicitement généralisée, une part de fausse monnaie, un demi-marché de dupes. L’auteur est augmenté – mais pas enrichi (tout juste maintenu financièrement au-dessus du niveau de l’eau, disons). Quand j’évoque dans mes ateliers de formation l’auteur comme « une part de dispositif de médiation » & « en même temps qu’auteur de l’œuvre dont il est fait médiation », c’est une précaution autant qu’un vœu – qu’on ne cesse d’accompagner l’auteur, qu’on l’instrumentalise en en prenant soin – pour le bien de toustes et tous, et je pense, en premier lieu, de l’auteur lui-même.
#L’éducation VERSUS le populaire ?
Je m’occupe de conseil littéraire, depuis plusieurs années, pour plusieurs évènements, d’ampleur variable. L’un d’entre eux, le plus massif, est pensé, fondé, vécu, narré (depuis sa fondation il y a quarante ans) comme un « evenement populaire » du livre – populaire se traduisant en communication politique par « impliquant beaucoup de gens » : l’adjectif « populaire », ici se convertit en chiffres. Narration et valorisation quantitatives. Représentation dont je ne ricanerai pas, même si sans relâche j’en questionne et souligne la limite.
La contrainte est stimulante, d’apporter de la littérature là vaut le coup d’être tenté – par la littérature, améliorer les choses ; et pour la littérature, l’exposant en pleine lumière. Considérant qu’elle a quelque chose à faire en ces contextes (de publicité et de commerce au sens propre, les formes originelles de ces salons que nous travaillons à hybrider et faire évoluer furent ne grande librairie où les auteurs viennent dédicacer), il faut y réfléchir… avec les outils fondés par l’arpentage de terrain initial, par la question des usages – quelque chose qui se fonde dans la peur primale d’entrer dans une salle, qui fut la mienne ; dans l’émotion du premier atelier, qui fut mienne également.
Est-ce que j’invente cette continuité pour m’en convaincre moi-même ? Non. Je sais que ce que vais défendre aux fins fonds je le ramène du centre ou des sommets ; je sais que cette chemise que je trempe – littéralement – durant ces exercices l’est de la même sueur que celle des premiers ateliers d’écriture ; je sais aussi que cette expérience-là, réitérée là, m’oblige — m’oblige à continuer de considérer cet autre, lecteur, lectrice, ce grand mystère-là, celle et celui à qui je vais destiner de l’évènement majuscule (massif, commercial), qu’il faudra inventer et varier pour continuer d’y produire du sens.
Littérature par, littérature pour.
Dans le cadre de :
[JOURNÉE D’ÉTUDE] Le 9/12/2022, première partie d’une journée d’étude sur la question de la médiation littéraire, organisée par Stéphane Bikialo et Mathilde Rimaud / Laboratoire Forellis.
Nous nous concentrons sur trois enjeux rarement abordés :
– la spécificité de la médiation littéraire au sein de la médiation culturelle ;
– l’approfondissement de la notion d’accès au-delà de l’accessibilité, impliquant d’entrer dans les œuvres, leur forme-sens, leur valeur… ;
– l’insertion de la médiation dans un contexte économique, et la différence ou l’articulation, la complémentarité… entre médiation et commercialisation, promotion, communication…, ce qui implique de se pencher sur les pratiques de la médiation d’acteurs et d’actrices comme les libraires, les éditeurs et éditrices…
En invitant à faire dialoguer des chercheurs et chercheuses et des professionnel.les de la médiation littéraire, en confrontant des analyses générales et des pratiques de terrain, ces journées souhaitent initier une recherche-action dans le domaine, encore peu exploré des formes (multiples) de médiation du littéraire. Avec Stéphane Bikialo, Mathilde Rimaud, Guénaël Boutouillet, Sophie Noël