retourner du tralala contre du vroum-vroum – à propos de David Christoffel

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(Texte lu lors de la  soirée « POESIE ET MUSIQUE » Récital commenté de David Christoffel suivi d’un débat avec : Françoise Clédat, Gilles Amalvi et Jean-Claude Pinson, animé par Thierry Guichard, au Pannonica, Jeudi décembre 2013 à 19h30.)

(à paraître dans Gare maritime 2014, en juin 2014)

Ajouter que si le texte dit quelque chose sans doute, du moins je l’espère, du travail hybride de Christoffel, il ne saurait résumer la vastitude, la précision, l’extrême richesse du récital avec slides qui suivit, une des toutes meilleures performances auxquelles il m’a été offert d’assister, un grand bonheur de spectateur).

——— David Christoffel, né en 1976 à Tours, fut quelques années nantais, ville où il étudia la philosophie, s’agita en revues, écrivit, diffusa. Auteur d’opéras parlés et de nombreuses créations radiophoniques, il s’intéresse aux rapports entre la poésie et la musique. Il a publié de nombreux textes et contributions sonores en revue (notamment La Revue des ressources, Ce qui secret, Sitaudis…) ; plusieurs livres dont « Argus du cannibalisme » (Publie.net, 2011), « Littéralicismes » (Ed. de l’Attente, 2010) ; et autant de disques. Il sera ce soir question des dits rapports entre poésie et musique, durant la discussion qui suivra, où je ne m’engagerai pas, pour, tautologique, éviter d’entamer la discussion avant que soit servie la discussion, ce qui de surcroît, seul, serait absurde, et d’autant plus que : ce à quoi se prêtera David Christoffel constituera une mise en question des rapports entre les deux, musique, poésie, mêlées peut-être, passe-passeuses, comme il y eut un jour poésure et peintrie. Car Christoffel fait les deux, texte et son. Et additionne les deux, qui s’appellent, en sa pratique. Citons François Bon, à propos de son livre « Argus du cannibalisme », paru en numérique chez publie.net :

« Dans les bandes-son de chaque chapitre viennent des ambiances de cour d’école, des bruits de rue. C’est la partition, les ruptures de l’intonation, les ellipse de la syntaxe qui vont happer les différents registres de la parole, celle que nous employons tous les jours, celle que nous hissons devant nous au moment d’écrire. Les nappes alors se superposent, s’entrechoquent, la rhétorique se disloque et c’est cette relation de toujours des mots aux choses, de l’écriture au monde, qui surgit devant nous. »

Très loin, ou non, pas forcément loin, mais plutôt : très ailleurs, pourtant, de ce que les nomenclatures étiquettent en tant que poésie sonore, Christoffel enregistre, capte, et redonne, recomposé – plus que de bruiter. Les mots, eux, bruissent, lui les dispose, les mots, et puis leur bruit, selon des recombinaisons de dispositifs syntaxiques existant : Pensons à son livre « Littéralicismes », ensemble de compositions poétiques et proses réflexives avec les heures de syntaxe produites par les traducteurs automatiques. Pensons à ces bribes de dialogue captés, comme saisis au vol, dans « Argus du capitalisme ». Pensons aux poèmes lus avec ambiances (ambiances plutôt neutres, simples expressions d’un dehors : cours d’école, rue en mouvement), en parallèle du texte, dans le même « Argus du cannibalisme », et à ce court-circuit étrange que provoque cette addition du même ainsi différencié : je lis le texte (matière issues de langues froides, démises en bris de syntaxe) + j’entends ce texte (voix posée douce distante, calme en ces éclats du dehors) = je constate une nette disjonction, en même temps que la reproduction du même. Le même (texte) est même, et ne l’est pas. Dans le même temps. Me semble-t-il. Et cet écart est une part de ce que désigne le travail de Christoffel. La poésie n’est pas une solution, dirait Frank Smith – la musique n’est alors pas plus une solution à cette absence de solution. Cette poésie-là, par l’écart, désigne ses manques, creuse le problème, elle ne résout rien par le son, n’évacue ni ne décore (par bruit étouffant, swing distrayant, ambiance édulcorante) ; elle prend le parti perplexe, elle instaure un doux dissensus entre formes, ainsi qu’au sein même de ces formes. L’humour comme une garantie d’éveil, de hisser du contraste, de bosseler même quand c’est plat. « La langue de la wahwah anti-électrique sera creuse et c’est même incroyable à quel point. Et pour en arriver à ce point, il faut que, # derrière, ce n’est pas le même creux, un autre degré de platitude c’est le relief entre des faibles densités qui suffit à faire un peu d’électricité (ça frétille les bulles, ça ne fait pas qu’éclater) » Pensons à ces onze définitions de la poésie, qu’il offre par ailleurs :

« Définition juilletiste de la poésie : Amour de la carte-postale rondement menée, avec résidus de bienfaisance en faible proportion. Définition athlétique de la poésie : Manie de la reformulation glorieuse. Définition troisième cycle de la poésie : Manière très experte de retourner du tralala contre du vroum-vroum, avec mécanisme de reconnaissances privatives. « 

Mais encore :

« Définition verveine. Définition disco. Définition auto-tamponneuse. Définition balnéaire. Définition post-trendy. Définition idéaliste positive. Définition macramé. Définition brocante. »

Et la suivante, qu’il donne, en conclusion d’une intervention vidéo, face caméra, sur remue.net (voir la vidéo au dessous):

« la poésie n’est vraiment plus ce qu’elle était, mais on n’a jamais eu d’outils aussi fiables pour attester qu’elle n’a jamais été ce qu’elle faisait semblant d’être».

Musique, donc. (enfin, poésie). Enfin. (Notre affirmée incertitude).

————————— David Christoffel, son site personnel http://dcdb.fr/

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