Camille de Toledo (un récit subjectif)

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[Recevant et questionnant Camille de Toledo pour et avec  remue.net, vendredi 5 avril au Centre Cerise, dans le cadre des soirées remue.net avec La Scène du Balcon, il m’incombait de lui poser des questions, mais également de le présenter au public du Centre Cerise. L’exercice est de synthèse et de simplification, les deux sont choses possibles, faisables et déjà faites par ailleurs, mais : l’énumération à l’oral eût été empesée, ou du moins, je la  présumais, ressentais telle. Toute tentative de résumé des pourquoi et des comment observables à l’œuvre et dans l’œuvre dudit Toledo risquait d’anéantir l’étoilement actif, l’intelligence lumineuse de ces correspondances nombreuses : il m’aurait fallu parler comme un pearltrees, il m’aurait fallu devenir un étoilement de phrases et d’idées, perspective métaphysique mais audacieuse. J’ai donc écrit ce  court texte de présentation, également écoutable sur remue.net.]

 

Récit subjectif — Ça me commence en octobre 2012, à Nantes, où durant Midi-Minuit nous sommes une quarantaine, soir tombant, assis sagement sur des chaises premier âge et coloris variés d’une école maternelle de centre-ville, écoutant Camille de Toledo lire L’inquiétude d’être au monde, son fascinant chant paru cette même année chez Verdier, l’écoutant nous le lire, images, Ettore, sensations, Terrore, sans façons ni effets, assis comme nous sur sa chaise premier âge la couleur je ne sais plus, de cette école maternelle de centre-ville, et ce moment-là de ce soir-là est de ceux qui se comptent, quelque chose nous est offert, à quoi nous participons : il étoile, nous brillons ;

Ou non, ça me commence plutôt, me commence aussi,  fin 2010, quand découvrant, parmi les dossiers des nouveaux auteurs résidents en Ile-de-France, le projet d’H-anthologie de Camille de Toledo, nous sommes assez stupéfaits Patrick et moi de cette appartenance de fait au corpus Général Instin, reversion du H en fantôme, vertige, vertige aussi des potentialités poétiques et spéculatives de cette résidence ;

Ou non plus, ça me commence printemps 2011, quand ses Vies Pøtentielles (fiction parue au Seuil) me vient entre les mains :  potentielles avec un ø barré, celui de l’alphabet finnois, qu’on retrouve dans Utøya, l’île du drame qui fonde l’inquiétude, ces vies sont de fiction, sont des micro-fictions, ramifictions comme lui les nomme, et sont doublées de leur exégèse (commentaire, explication) et de quelques genèse (chant, typographié) ; ces vies, toutes dramatiques, sombres, hivernales (et plus encore, l’intrication de leur exégèse), brillent dans ce printemps tardif. On ne sait jamais exactement où commence notre rapport à une œuvre, cet appétit hybridé, longue traîne intime qui nous ramène et re-commence.

Ce qui recommence c’est un bel étonnement, face à ce qu’écrit Camille de Toledo, quelles qu’en soient les résonances et ramifictions, un étonnement poignant aussi, souvent et de plus en plus (Il n’y a pas, d’un côté, l’histoire de mes morts, et, de l’autre, l’émiettement de nos vies. D’un côté, la vie réelle, et de l’autre, l’imagination. Tout s’enchevêtre, tout s’enchâsse, et si je ne reconnais plus mon père, si je me sens si loin de ma mère, je ne crois pas que la psychologie soit d’un si grand secours. C’est le sens de notre savoir qui déteint sur ma peau. Ma tête se brise ni plus ni moins. Et le lieu depuis lequel j’écris est la réplique de notre vacillement. (in Vies Pøtentielles)), c’est d’une poigne qui ne vous prend pas à la gorge ni ne vous met sous coupe, ce vibrant étonnement  tient étonnamment : libre.

Camille de Toledo, tentons de résumer, a écrit : 7 livres et un opéra, mais son site (le si bien nommé Archives) en ouvre tant d’autres, des pièces de l’œuvre en cours : formes avec images, notamment, dont des films, anthologies de photos de lieux inusités, installations avec logiciels, traductions en espagnol de ses deux romans qui sont devenues les originaux ;

Camille de Toledo c’est aussi : le TLhub, outil informatique dédié à la traduction collaborative , La société européenne des auteurs, deux projets où les langues, multiples et traduites, font centre et lien, et cette question est pour lui centre et lien, citant Umberto Eco : « La langue de l’Europe, c’est la traduction. »

Et puis cet opéra, dont nous avons eu la chance d’accueillir des bribes, traces, fragments, images et textes, sur remue.net : La chute de Fukuyama, créé la semaine dernière salle Pleyel, opéra pour six langues (les langues, encore), sur une musique de Grégoire Hetzel, dont il nous lira, ce soir, des extraits.

Nous raconter tout serait impossible,

Nous lire l’intégralité de ce qu’il a écrit tout autant,

Mais ce que je lui ai proposé c’est de lire, et raconter, puis lire, et raconter, et ainsi étoiler ces questions qui sont siennes et qu’il nous désigne autres,  neuves – sa parole toujours neuve, toujours profonde, est à entendre sur remue.net.

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